TEMOIGNAGES
Témoignage n°1 par le Colonel Jean-Claude BRUNET
Mon crash en T-28
( N° 85) le 15-11-1961 entre les djebels Tendrara et Khorchef
Mission W 5173 - 40 Kms au SE de Mecheria (Sud Oranais)
J'étais au-dessus d'une opération, équipier d'une patrouille de 2 T-28.
Le commando Georges, formé exclusivement d'anciens fellaghas passés du
côté français (de sacrés bonshommes !) avait accroché un groupe de
fellaghas (Katiba 531).
But de l'opération : Recherche de caches d'armes et de ravitaillement
Pertes amies | Pertes rebelles |
1 tué 1 blessé 1 T-28 abattu détruit |
9 tués 1 prisonnier 1 AA 52 2 PM 5 fusils |
J'ai effectué une passe de tir roquette
68 mm sur un fellagha qui me tirait dessus.
Je lui ai arraché le bras, mais une de ses balles de mitrailleuse MG 43
(d'origine allemande) a perforé la casserole d'hélice de mon avion.
Le résultat est que toute l'huile bouillante du moteur s'est echappée en
quelques secondes par cet orifice, couvrant mon pare-brise d'huile (je
ne pouvais plus rien voir), et que l'hélice est passée instantanément au
grand pas, puis le moteur a grippé et s'est arrété.
J'étais très bas, ne voyais presque rien et j'avais sous les ailes deux
bidons de napalm, des roquettes et mes mitrailleuses.
J'étais bien trop bas pour sauter en parachute.
Je me suis crashé un peu au hasard droit devant dans la montagne au
milieu des rochers, n'ayant le temps ni le reflexe de me débarrasser de
mes bidons, ni de couper les magnétos, ni de fermer le robinet de
carburant : j'avais toutes les conditions pour faire un beau feu
d'artifice !
J'ai heurté le sol. L'aile gauche a été arrachée, l'avion s'est mis sur
le nez puis, miracle, est retombé sur le ventre dans un étrange et
assourdissant silence. Tout cela a dû durer une ou deux minutes?
Je suis descendu de mon avion emmenant les quartz radio, ma carabine US,
mes cartes et documents et j'ai été me cacher derrière une touffe d'alfa
car je voyais des musulmans arriver vers moi à une centaine de mètres;
mais j'étais incapable de savoir si c'était des ennemis (qui m'aurait
mutilé s'ils m'avaient pris) ou le commando Georges.
J'ai alors réalisé que mon observateur était resté KO dans l'avion. J'ai
été le chercher et nous nous sommes cachés.
Mon équipier (un T-28) tournait au-dessus de nous et maintenait les
ennemis à distance.
Un hélico est arrivé et nous a recueilli et emmené vers la base.
Le soir je reprenais un T-28, car, dans ces cas, il ne faut pas prendre
le temps de réfléchir.
Ai-je eu peur : je t'assure que dans ce cas, je n'en ai absolument pas
eu le temps.
J'ai ensuite retrouvé les hommes du commando Georges qui pour me
remercier de les avoir aidés m'ont souvent invité à faire des opérations
au sol avec eux. J'étais le seul Européen au milieu de 50 musulmans.
De sacrés gars, mangeant en tout et pour tout une boite de sardines dans
la journée tout en effectuant plus de 50 kilomètres en 24 heures en
pleine chaleur.
J'ai assisté bien sûr à leur passage dans les douars, et à leur façon
d'opérer pour obtenir des renseignements.
C'est une autre affaire !
Leur chef, le Lt Riguet (Algérien, ancien fellagha) est devenu mon ami.
Après l'indépendance, il a été capturé par les fellaghas et noyé vivant
dans de l'huile bouillante. Comme la plupart des membres du commando
Georges et beaucoup de harkis.
Leur colère actuelle n'est pas sans raison.
Ce fut une triste période. Mais la leçon à tirer est qu'il ne faut pas
juger les actes de guerre avec notre mentalité de bourgeois en paix ou
d'intellectuel nanti.
Ce qui est dégueulasse, c'est la guerre. Une fois en guerre, il faut
gagner et ce n'est jamais beau.
ANNEXES AU TÉMOIGNAGE N°1
Citation du pilote de T-28 abattu. en pdf (420 ko)
Extrait d'ouvrage mentionnant l'événement en pdf (263 ko)